Le versement de paiements secrets à une ex-playmate et à une ancienne actrice pornographique a rythmé cette troisième journée d'interrogatoire du premier témoin, jeudi, au procès criminel de l'ex-président Donald Trump à New York.
Le témoignage de David Pecker, ex-PDG du groupe de presse American Media Inc. (AMI) et ami de longue date du célèbre accusé, a conduit les jurés loin des colonnes de chiffres trafiqués et des fausses factures mentionnées dans l'acte d'accusation.
Les procureurs l'ont amené à reconstituer de façon détaillée la chronologie des événements qui ont ultimement abouti au paiement fait à une maîtresse présumée, l'actrice de cinéma pornographique Stormy Daniels, pour la contraindre au silence.
C'est vers la fin de l'interrogatoire que cette question précise a été abordée.
M. Pecker a indiqué avoir eu vent des demandes de Stormy Daniels, de son vrai nom Stephanie Clifford, au début de 2016. Il n'y avait alors pas donné suite, puisqu'un site avait déjà publié les allégations en 2011 et qu'elle les avait alors niées.
La situation avait changé en octobre, quelques semaines avant le scrutin présidentiel : les médias avaient diffusé un enregistrement désormais célèbre sur lequel on entendait Donald Trump se vanter de pouvoir « attraper » les femmes par leur sexe en toute impunité.
M. Pecker a indiqué avoir reçu un appel urgent de Dylan Howard, à l'époque rédacteur en chef du National Enquirer, un tabloïd du groupe AMI. Dans un texto qui a été montré aux jurés, M. Howard lui a écrit : Je sais qu'il y a eu des démentis par le passé, mais cette histoire est vraie.
Après avoir averti l'avocat personnel de Donald Trump à l'époque, Michael Cohen, M. Pecker a cependant refusé de verser 120 000 $ US à Mme Clifford, comme le pressait de le faire M. Cohen.
À ce stade, comme l'a longuement expliqué M. Pecker, AMI avait enterré au cours des semaines précédentes deux histoires préjudiciables au candidat républicain, dont celle d'une autre femme se présentant comme une ancienne maîtresse.
Après avoir échoué à récupérer les 180 000 $ US payés par son entreprise pour l'achat de leurs histoires, David Pecker, qui espérait être remboursé par Donald Trump ou par la Trump Organization, a tracé une ligne.
Je ne suis pas une banque.
Il a ajouté qu'il ne voulait pas être impliqué dans une histoire concernant une vedette porno.
Je pensais qu'il fallait que [cette histoire] soit retirée du marché et que si quelqu'un devait l'acheter, c'était à Michael Cohen et à Donald Trump de le faire
, a déclaré M. Pecker.
M. Cohen a reconnu avoir payé 130 000 $ US à Stormy Daniels – il purge une peine de prison en rapport avec cet aveu – et a affirmé avoir agi sur les instructions de M. Trump.
Dans cette affaire, l'ancien président américain est accusé d'avoir falsifié des documents financiers pour dissimuler le remboursement fait à Michael Cohen.
David Pecker a par ailleurs affirmé qu'en décembre 2016, Michael Cohen, après avoir payé Mme Clifford, s'était plaint de ne pas encore avoir été remboursé.
M. Cohen, qui devrait témoigner, soutient avoir été remboursé et récompensé par Donald Trump, en plusieurs paiements faussement désignés comme des honoraires, pour une somme totalisant 420 000 $ US entre février et décembre 2017.
Motivations électorales
David Pecker a poursuivi son témoignage pour une troisième journée.
Photo : Reuters / Jane Rosenberg
M. Pecker a par ailleurs estimé que les motivations de Donald Trump pour étouffer les scandales semblaient avoir changé après que l'homme d'affaires eut annoncé sa candidature.
Avant, il s'inquiétait pour sa famille, et après, il semblait s'inquiéter pour sa campagne, a affirmé M. Pecker.
Je n'ai pas entendu dire qu'il était question de ce que dirait Melania ou Ivanka ou de ce que dirait sa famille, mais il était question de l'impact que cela aurait sur l'élection.
Lors de sa déclaration d'ouverture, la semaine dernière, la défense a argué que Donald Trump avait agi pour protéger sa famille, sa réputation et sa marque
.
Supprimer les allégations d'une première maîtresse
Karen McDougal en 2010 à une fête du magazine « Playboy ». Elle porte plainte contre Donald Trump.
Photo : Getty Images / Dimitrios Kambouris
Les réponses de David Pecker aux procureurs jettent les fondements de leur argumentaire, qui place l'ancien président, accusé de falsification de documents, au centre d'un complot visant à « corrompre l’élection de 2016 ».
Plus tôt cette semaine, M. Pecker a admis avoir mis son tabloïd au service de la campagne de Donald Trump dès 2015 en chassant les scandales susceptibles de faire dérailler sa campagne.
En début de journée, le magnat des médias a détaillé les circonstances du versement fait à l'ancienne playmate Karen McDougal, la première femme qui a allégué avoir eu des relations sexuelles avec Donald Trump.
M. Pecker a admis avoir acheté, pendant la campagne présidentielle de 2016, les droits exclusifs de son récit pour 150 000 $ US avec l'intention de ne pas le publier pour éviter de nuire aux perspectives électorales de Donald Trump.
Nous ne voulions pas que cette histoire mette M. Trump dans l'embarras ou [...] qu'elle nuise à [sa] campagne.
M. Pecker a affirmé avoir reçu un appel de Donald Trump à ce sujet.
Il a notamment fait état de ce que lui aurait dit M. Trump après avoir discuté avec Michael Cohen : J'ai parlé à Michael. Karen est une fille bien. Est-ce que c'est vrai qu'un groupe mexicain cherche à acheter l'histoire pour 8 millions de dollars?
David Pecker lui aurait répondu qu'il ne le croyait pas, après quoi Donald Trump lui aurait demandé ce qu'il devait faire. Je pense que tu devrais acheter l'histoire et la retirer du marché
, lui aurait-il répliqué.
Je croyais que [les affirmations de Karen McDougal] étaient vraies.
Mme McDougal soutient avoir entretenu pendant 10 mois, entre 2006 et 2007, une relation avec Donald Trump avant l'entrée en politique de ce dernier.
En janvier 2017, quelques semaines après la victoire électorale de Donald Trump, David Pecker a, selon son témoignage, été invité à la Trump Tower et présenté à des membres de la future administration Trump, dont le patron du FBI de l'époque, James Comey, et celui qui allait devenir le directeur de la CIA, Mike Pompeo.
Donald Trump l'aurait remercié pour son aide et lui aurait aussi demandé : Comment va notre fille?
Bien. Elle garde le silence. Aucun problème
, aurait répondu M. Pecker. Il n'est pas clair si les autres hommes présents à la rencontre ont entendu leur conversation.
Contentieux autour du paiement
David Pecker a exprimé à plusieurs occasions ses inquiétudes devant la possibilité de voir son groupe médiatique devoir absorber lui-même la prise en charge du paiement à Mme McDougal.
Le patron va s'en occuper
, lui aurait initialement assuré Michael Cohen après avoir donné à M. Pecker le feu vert pour acheter le récit de la jeune femme.
À l'issue des négociations avec l'avocat de Mme McDougal, le grand patron d'AMI a convenu de lui verser 150 000 $ US, mais il a initialement résisté à la demande de M. Cohen d'avancer la somme.
Il a rendu compte de sa conversation avec l'ex-homme de confiance du président : Michael, pourquoi devrais-je payer? Je viens de payer 30 000 $ US pour l'histoire du portier. Maintenant, vous me demandez de payer 150 000 $ US pour l'histoire de Karen.
Mardi, il avait indiqué avoir payé un ancien portier de la Trump Tower qui affirmait que M. Trump avait un enfant illégitime, même si ses affirmations avaient été jugées mensongères.
Signe de l'importance accordée à ces témoignages, il avait spécifié plus tôt cette semaine que son groupe médiatique payait habituellement ses sources entre 250 $ US et 2500 $ US, parfois 5000 $ US dans le cas de révélations sur de grandes célébrités.
M. Pecker a également avoué que son entreprise avait faussement conclu un contrat de collaboration avec Mme McDougal pour ne pas donner l'impression d'enfreindre les lois sur le financement électoral.
Pour légitimer une somme aussi importante, la jeune femme serait officiellement rémunérée pour écrire des chroniques sur la forme physique (qu'elle n'écrirait pas elle-même) et pour faire la couverture du National Enquirer.
M. Pecker a ajouté avoir signé un accord pour être remboursé par une société-écran créée par Michael Cohen.
Il a dit avoir changé d'idée après avoir consulté son avocat et l'avoir signifié à Michael Cohen, par crainte des répercussions juridiques.
Michael Cohen se serait alors fâché contre lui et aurait crié : Le patron va être très en colère contre vous.
M. Pecker, qui n'a jamais été remboursé et n'a pas fait état du paiement aux autorités, a reconnu devant les jurés avoir violé les lois sur le financement électoral, puisque les dépenses de campagne faites en coordination avec l'équipe d'un candidat doivent être déclarées.
Il a d'ailleurs indiqué avoir conclu une entente avec le bureau du procureur du district de Manhattan, qui a déposé les accusations contre Donald Trump. L'entente lui a permis d'éviter des poursuites.
On savait qu'il avait conclu une entente similaire avec les procureurs fédéraux en 2018.
Vers la fin de l'interrogatoire des procureurs, M. Pecker a dit toujours considérer Donald Trump comme un ami, même si les deux hommes ne se sont pas parlé depuis 2019.
Début du contre-interrogatoire
Les avocats de Donald Trump ont eu l'occasion d'amorcer brièvement leur contre-interrogatoire, pendant lequel ils ont tenté d'ouvrir leurs premières brèches dans la thèse des procureurs.
M. Pecker a entre autres indiqué avoir prévenu M. Trump de la publication d'articles négatifs bien avant qu'il ne se lance en politique.
L'avocat Emil Bove a aussi tenté de normaliser la pratique d'interception et de suppression d'informations négatives pratiquée par le groupe AMI.
David Pecker a ainsi indiqué avoir déjà tué dans l'œuf des histoires visant l'ex-gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger, l'ex-maire de Chicago Rahm Emanuel, un démocrate aujourd'hui ambassadeur des États-Unis au Japon ou encore le golfeur Tiger Woods.
Le témoignage de M. Pecker se poursuivra vendredi.
Avec les informations de New York Times, CNN, Washington Post et Reuters
Paiement à Stormy Daniels : un témoin au procès de Trump dit avoir servi d’intermédiaire | Donald Trump face à la justice - Radio-Canada.ca
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