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Tuesday, January 25, 2022

Le paiement en plusieurs fois, un nouvel eldorado pour les fintechs et les banques - L'Express

Difficile pour Alain Némarq de cacher son plaisir en ce début d'année. Alors que le spectre de la crise plane toujours sur l'économie et menace les soldes d'hiver, les ventes de Mauboussin se portent, elles, plutôt bien. Surtout celles en ligne. L'effet du Covid ? Pas seulement. Le joaillier parisien que l'on connaît pour ses tarifs agressifs profite de l'engouement d'une partie de ses clients pour le paiement "fractionné", ce système qui permet de régler un seul achat en plusieurs fois. "Il a doublé en à peine plus d'un an", glisse le patron du groupe, soulignant un "vrai phénomène". Rien à voir avec l'antique crédit à la consommation de l'ancien monde où les taux d'intérêt pratiqués affolaient les compteurs et alourdissaient sérieusement la facture finale. 

Avec le fractionné, c'est le commerçant qui paie un intermédiaire pour assumer le risque d'impayé. Sur le papier, le système ne prévoit pas de limite de montants, tant que le remboursement s'étale sur une période inférieure à 90 jours. En échange de ce service, l'intermédiaire qui avance les fonds au commerçant et s'occupe de récupérer les paiements auprès du client touche des commissions sur chaque transaction. "Une idée en or", souligne Adrien Choquet, directeur exécutif de la société de conseil Gimar & Co. Sur le papier, tout le monde est gagnant : le client, qui voit une très bonne manière d'étaler dans le temps le poids d'un achat, et le commerçant, qui peut faire une vente qu'il n'aurait sans doute pas réussi à conclure autrement. 

"Un vrai défi technologique"

Mauboussin n'est pas la seule enseigne à surfer sur la vague... Des milliers d'autres comme Fnac-Darty, Lacoste et Vestiaire Collective proposent elles aussi ce service. "C'est aussi simple que l'achat d'un tee-shirt à 10 euros", explique le patron d'une grande marque parisienne. Mais au-delà du fonctionnement, c'est surtout le boom du commerce en ligne et l'arrivée de fintechs ultra-spécialisées capables d'offrir ce genre de services qui explique la frénésie actuelle. Car développer un tel système n'a rien de simple. Plusieurs banques s'y sont cassé les dents par le passé. "Il y a plein de paramètres financiers à prendre en compte, le tout en quelques secondes, c'est un vrai défi", souligne Nicolas Darbo, associé au sein du cabinet de conseil Accuracy. Et ce, même si les sommes ne dépassent pas quelques milliers d'euros. 

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Ce défi, les fintechs comme le suédois Klarna, l'australien Afterpay ou le français Alma ont justement réussi à le relever. Chacune a développé sa solution technologique et peut se connecter au système de ses partenaires. La suite est assez simple : "Nos outils nous permettent de savoir qui est le propriétaire de la carte bancaire devant son écran et s'il est capable d'honorer ses futures échéances", explique Louis Chatriot, cofondateur d'Alma, qui accompagne Mauboussin - entre autres - contre une commission comprise entre 3,4% et 4,2% du montant de la vente globale. Des commissions qui ne représentent pas grand-chose par rapport au chiffre d'affaires supplémentaire généré, selon les commerçants interrogés. Mais dans quelle proportion ? 

"Nos outils nous permettent de savoir qui est le propriétaire de la carte bancaire devant son écran et s'il est capable d'honorer ses futures échéances"

Si les fintechs refusent de donner des chiffres, les volumes du paiement fractionné donnent toutefois une bonne idée de la dynamique. En 2021, rien que dans l'Hexagone, il a dépassé les 6 milliards d'euros, un record absolu. Selon les estimations, il pourrait franchir le cap des 10 milliards cette année ! On est certes encore loin de notre cher crédit "conso" et de ses 190 milliards d'euros d'encours, mais le paiement fractionné apparaît plus que jamais comme un segment alléchant et plein de perspectives. Symbole de la tendance, tous les acteurs du secteur voient leur valorisation flamber dans des proportions délirantes : l'américain Affirm pèse 18 milliards de dollars à Wall Street. Le géant américain Square a mis la main sur Afterpay pour 29 milliards de dollars. Alma, qui n'a même pas fêté ses 4 ans, serait déjà valorisé plus d'un milliard d'euros. De son côté, le suédois Klarna, considéré comme le leader mondial du secteur, pèse près de 50 milliards de dollars, soit davantage que la plupart des banques européennes ! 

Des banques qui ne s'y sont d'ailleurs pas trompées. Toutes se sont positionnées sur le paiement fractionné pour en profiter et ne pas louper le virage. "C'est devenu obligatoire de proposer ce genre de services", insiste Nicolas Darbo. Certaines banques comme BPCE déjà largement présente sur le créneau avec sa filiale Oney Bank, veulent même en faire davantage. Et notamment dans les magasins. "Nous sommes en train de déployer massivement la solution pour les commerces physiques", explique Jean-Pierre Viboud, le patron d'Oney Bank, qui travaille avec un millier de partenaires. Un constat partagé du côté du Crédit agricole. "On pousse les feux sur les caisses", abonde Stéphane Priami, directeur général de Crédit agricole Consumer Finance. L'enjeu pour les banques n'est pas que financier. Se joue aussi leur place auprès des clients. "Le paiement fractionné est à mi-chemin entre le paiement et le crédit, il fait le pont entre les deux", explique Nicolas Darbo. Les banques ne peuvent pas se permettre de laisser les fintechs s'installer seules sur un tel segment. 

Des ambitions qui vont bien au-delà du paiement fractionné

D'autant plus que Klarna et les autres ne veulent pas se contenter du paiement fractionné. Ce n'est que la première pierre du système qu'elles souhaitent chacune bâtir à leur manière. "Une fois que vous êtes sur le paiement fractionné, vous pouvez remonter la chaîne de valeur vers le haut avec du crédit et vers le bas avec du paiement simple", explique Julien Maldonato, associé chez Deloitte. Plusieurs fintechs ont d'ailleurs déjà commencé à le faire. Klarna, qui dispose de la licence bancaire (pas encore en France), propose des crédits à la consommation, une carte bancaire et son application permet même de faire du paiement fractionné dans des commerces qui ne sont pas partenaires du géant suédois... "Notre stratégie, c'est de fournir une très large palette de services financiers", confirme Eric Petitfils, le patron de Klarna en France. Pour devenir une banque ? Le message est en tout cas bien passé dans le secteur : BNP Paribas est en train de boucler le rachat de Floa Bank, qui n'est autre que l'un des leaders du paiement fractionné en France avec plusieurs centaines de partenaires. "Floa viendra ainsi enrichir notre panel de solutions innovantes en matière de paiements en Europe", explique Charlotte Dennery, administratrice directrice générale de BNP Paribas Personal Finance. 

"Une fois que vous êtes sur le paiement fractionné, vous pouvez remonter la chaîne de valeur vers le haut avec du crédit et vers le bas avec du paiement simple"

Reste que certains observateurs commencent à s'inquiéter des effets pernicieux de la technique sur la solvabilité des consommateurs. Si aucun client ne peut comme il y a vingt ans faire le tour des magasins en faisant flamber la carte, la sortie de route financière n'est pas non plus impossible. Car le paiement fractionné reste gratuit tant que les clients paient à temps... "Les pénalités de retard peuvent être considérables et trop de gens n'en ont pas conscience", indique Matthieu Robin de l'association de consommateurs UFC-Que choisir, qui pointe du doigt des frais dépassant parfois les 10% de la somme restant due. "Le client doit être informé de l'ensemble des conditions tarifaires, lorsque des frais et des intérêts sont appliqués, afin de pouvoir appréhender son coût global", rappelle de son côté l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Une position jugée insuffisante par certaines associations. "Il faudrait davantage encadrer le paiement fractionné", insiste Matthieu Robin. Comment ? En imposant un plafond de 200 euros par achat. 

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Une position rejetée par les acteurs du secteur. "Le paiement fractionné est très pratique pour des dépenses du quotidien que l'on a envie d'étaler, souligne Marc Lanvin, patron de Floa Bank. Il ne faudrait pas trop le rigidifier." C'est peut-être l'Union européenne qui pourrait mettre tout le monde d'accord. Une directive sur le crédit est dans les tuyaux et un nombre croissant d'élus au Parlement, des deux bords, souhaiteraient y intégrer le paiement fractionné. L'idée, soutenue par les associations de consommateurs, fait son bonhomme de chemin. La directive est prévue pour 2023. Avec une transposition en 2024 ou 2025. "C'est trop long", tacle Matthieu Robin. "Si la disposition devait passer, nous serions prêts à adapter nos offres", explique-t-on du côté des banques. Une perspective qui pourrait entamer la dynamique de ce nouvel eldorado. 

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