De plus en plus populaire, le paiement fractionné s'impose comme un nouvel incontournable pour les commerçants et consommateurs. Décryptage d'un phénomène qui éveille l'attention des régulateurs.
Payer en plusieurs fois ses achats est presque devenu un acte tendance. Et pour cause, le secteur du paiement fractionné connaît une envolée spectaculaire en pleine pandémie de Covid-19. De plus en plus plébiscitée par les consommateurs en carence de trésorerie, cette méthode de paiement remet au goût du jour ce qu’on appelle plus communément le crédit à la consommation, un terme anxiogène qui renvoie davantage à la précarité qu’à la commodité. Ce changement de regard sur le secteur est notamment imputable à des start-up qui y ont vu une opportunité pour dépoussiérer une pratique qui souffrait d’une mauvaise image.
Le marché mondial du paiement fractionné a ainsi quadruplé entre 2018 et 2020 pour atteindre 80 milliards de dollars, selon le cabinet Kaleido Intelligence. Il pourrait encore tripler d'ici 2025 pour s'établir à 250 milliards. Au niveau des transactions réalisées en buy now, pay later, leur valeur aurait augmenté de 292 % entre 2018 et 2020. À titre d'exemple, Klarna, leader du secteur, a réalisé 53 milliards de dollars de ventes en 2020, en hausse de 46 % d'une année sur l'autre, tandis qu'Afterpay a doublé les siennes en 2019 pour atteindre 11,1 milliards en 2020.
En France, le “marché” du paiement fractionné progresse rapidement, mais reste largement minoritaire. Difficile cependant de connaître son poids réel puisque la Banque de France estime que les paiements fractionnés représentent “moins de 5 % des crédits à la consommation”, soit environ 4,5 milliards d'euros par an, quand le rapport de mission sur la prévention du surendettement et le développement du microcrédit, remis en octobre dernier au gouvernement par le député de Dordogne Philippe Chassaing (LREM), estime le volume français à 10 milliards d’euros. Il pourrait même atteindre 25 milliards d’ici 2025, soit un dixième du marché mondial par rapport aux prévisions de Kaleido Intelligence.
En 2021, environ 31 % des Français ont eu recours au moins une fois au paiement fractionné, contre 25 % l'année précédente, selon le Baromètre OpinionWay-Floa sur l’évolution des moyens de paiement. Si les consommateurs nationaux se tournent de plus en plus vers cette nouvelle méthode de paiement, les marchands sont pour l’heure un peu plus timides pour l’adopter. D’après Payments Europe, seuls 12 % des commerçants français acceptent une solution de paiement différé, bien loin de la moyenne européenne (23 %) et de pays comme la Pologne ou la Suède (près de 40 %). Si les commerçants tricolores sont encore loin de la plupart de leurs homologues européens sur le paiement fractionné, cela n’empêche pas des start-up françaises, comme Alma qui a levé 49 millions d’euros il y a un an, de se lancer dans l’aventure.
“Le BNPL augmente le taux de conversion et le montant moyen d’achat”
Ce qui a vraiment changé la donne, c’est évidemment la pandémie de Covid-19. Si la crise sanitaire a eu pour effet immédiat de doper le commerce en ligne avec un bond brutal des commandes pour éviter les contacts physiques dans les magasins, elle a aussi incité les commerçants à se tourner vers de nouvelles méthodes de paiement pour rendre l’acte d’achat plus flexible. Dans le même temps, face à l’incertitude économique engendrée par la pandémie, des centaines de millions de personnes à travers le monde ont commencé à revoir leurs habitudes de consommation. Une réflexion souvent accélérée par une baisse du pouvoir d’achat qui a poussé les consommateurs à se tourner vers de nouveaux usages dans le paiement.
C’est cette conjoncture entre les attentes des commerçants et celles des consommateurs qui a créé un terrain propice à l’envol fracassant du paiement fractionné. “Le paiement fractionné sans frais (Buy Now, Pay Later, BNPL) a été l’un des secteurs les plus dynamiques de l'e-commerce en 2021. L’idée n’est pas nouvelle en soi. ‘Acheter maintenant, payer plus tard’ est une version revisitée de l'ancien plan de paiements fractionnés en X fois sans frais. Ce qui est nouveau est le fait que cette option de paiement s’intègre désormais de manière totalement transparente dans le panier d’achat en ligne, et de plus en plus aussi lors d’achats en magasin”, explique Laurence Faguer, experte retail qui prépare actuellement une étude sur le sujet.
“Pourquoi un tel engouement de la part des enseignes et marques ? Parce que le BNPL augmente le taux de conversion et le montant moyen d’achat. Et selon Klarna, 14 % des acheteurs en moyenne décident d'effectuer des achats qu'ils auraient autrement retardés. Les acteurs du BNPL, comme Klarna et Afterpay, ne se voient pas en simples fournisseurs de ces solutions, mais en plateformes de shopping où les consommateurs se rendent pour faire leurs achats. On est loin d’une simple solution de fintech”, estime-t-elle.
De son côté, Aurélien Vernet, chargé d’études pour le cabinet Xerfi, a identifié “d’autres tendances lourdes qui modifient également la physionomie du marché” dans une tribune sur le paiement fractionné. “Les formules locatives ou d’abonnement gagnent progressivement du terrain sur d’autres segments, par exemple celui des véhicules d’occasion, de plus en plus investi par les captives automobiles et les filiales bancaires spécialisées, ou sur celui des produits high-tech. Les formules de leasing sur les voitures neuves ont, elles, franchement décollé sur la période récente. Il est vrai que la location avec option d’achat (LOA) et de longue durée (LLD) permet de générer des revenus récurrents, de fidéliser les clients, mais aussi d’enclencher des cercles vertueux créateurs de valeur grâce aux bouquets de services adossés au contrat de financement. À l’inverse, le crédit renouvelable (ou revolving) — longtemps accusé d’accentuer les difficultés financières des consommateurs — ne représentait plus que 10,5 % des encours en 2020, soit presque 10 points de moins qu’en 2010”, décrypte-t-il.
Dans le même temps, Laurence Faguer note que le succès du BNPL s’inscrit dans une autre tendance de fond. “On parle beaucoup de cette formule qui permet de mieux gérer son budget. On sait moins qu'un nombre croissant d'acheteurs ont en tête la revente du produit lorsqu’ils achètent neuf. Ils utilisent le BNPL pour acheter un produit neuf, qu’ils vont revendre avant la fin de l’échéance du plan de remboursement (généralement trois paiements égaux après le premier versement à l’achat) en utilisant le produit de la revente pour payer le solde”, indique l’experte retail.
L’open banking aiguise l’appétit des fintech du secteur
Pour surfer sur cette vague du paiement fractionné, les start-up du secteur tirent notamment profit de la “révolution de l’open banking”. Celle-ci a été initiée par le Parlement européen avec l’adoption en novembre 2015 de la deuxième directive européenne sur les services de paiement (DSP2). Entrée en vigueur en janvier 2018, elle a pour but de moderniser ces derniers en obligeant les banques à rendre accessibles les données de leurs clients via des API, sous réserve de leur consentement, à des entreprises tierces, à l’image d’apps comme Lydia ou de fintech du paiement fractionné telles que Klarna.
Cette ouverture des données permet ainsi à ces acteurs tiers de développer de nouveaux services financiers aux clients des banques. De cette manière, il est donc possible de proposer au consommateur une offre de services financiers via de multiples fournisseurs sans rencontrer de difficultés. Dans le cas du paiement fractionné, cela permet surtout d’intégrer aisément cette facilité de paiement dans le parcours d’achat, là où souscrire un véritable crédit à la consommation avec des acteurs traditionnels (Cetelem, Cofidis…) était plus long et mal intégré dans le processus d’achat.
Klarna, référence mondiale du paiement fractionné
L’une des sociétés les plus avancées sur le sujet est suédoise. Il s’agit de Klarna, une entreprise née en 2005, mais qui a vu sa valorisation passer de 5,5 à 46 milliards de dollars en moins d’un an, signe de l’appétit démentiel des investisseurs pour ce secteur en plein essor. Si l’entreprise scandinave est aussi bien valorisée, c’est parce qu’elle a su capitaliser sur le paiement fractionné pour en faire un levier de croissance pour les commerçants.
Klarna a en effet développé une app mobile à destination des consommateurs pour leur permettre de planifier leurs prochains achats. Et toutes les données découlant de ces derniers peuvent ainsi servir de base à Klarna pour aider les commerçants à mieux anticiper le comportement d’achat des consommateurs. Une expertise que la licorne suédoise monétise au travers de frais facturés aux commerçants, en plus d’éventuelles pénalités à rembourser pour les clients en cas de retard de paiement.
C’est avec cette stratégie B2B2C que Klarna a popularisé le paiement smooth (souple), le rendant même glamour avec des investisseurs prestigieux tels que les rappeurs Snoop Dogg et ASAP Rocky. Et si l’entreprise, qui revendique 90 millions d’utilisateurs et 250 000 commerçants partenaires, apparaît aujourd'hui comme l’un des fers de lance mondiaux du paiement fractionné, elle a aussi fait des émules sur un marché rendu encore plus lucratif par la pandémie de Covid-19.
PayPal, Stripe, Block… : personne ne veut rater le coche
Devant l’appétit des commerçants pour les solutions buy now, pay later, d’autres start-up ont ainsi voulu tirer leur épingle du jeu. C’est le cas notamment du géant australien du secteur, Afterpay, qui touche aujourd’hui 16 millions de consommateurs dans le monde. En 2020, ce groupe a vu son activité bondir de 112 % en générant 11 milliards de dollars de ventes. Le momentum est si fort que Square, l’autre entreprise de l’ancien directeur général de Twitter, spécialisée dans les paiements numériques et récemment devenue Block, n’a pas hésité à poser 29 milliards de dollars sur la table pour s’emparer d’Afterpay. Une opération pharaonique qui souligne à elle seule l’euphorie en vigueur actuellement dans le secteur du paiement fractionné.
Le phénomène n’a pas laissé insensible PayPal qui a pu se rendre compte de la force de frappe du paiement fractionné lors du Black Friday. “Nous avons constaté une augmentation de 400 % par rapport à l'année précédente de nos volumes passant par l’option BNPL lors du dernier Black Friday”, a ainsi indiqué Dan Schulman, le patron du géant américain qui a introduit le paiement en quatre fois en juin 2020.
Signe que le secteur ne laisse pas indifférent le patron de PayPal, la firme a accepté de débourser 2,7 milliards de dollars en septembre dernier pour s’offrir la start-up japonaise Paidy, spécialisée dans le paiement fractionné. L'opération est stratégique puisque le marché nippon et les services buy now, pay later figurent parmi les priorités de PayPal visant à atteindre 50 milliards de dollars de revenus en 2025, soit le double du chiffre d’affaires attendu cette année (25,75 milliards).
Pour ne pas rater le coche, certaines fintech ont même fait le choix de s’allier avec les mastodontes du paiement fractionné. C’est le cas de Stripe, l’une des licornes les mieux valorisées au monde, qui a vu sa valorisation passer de 36 à 95 milliards de dollars en 2021 à la faveur d’un tour de table de 600 millions. Si la firme créée par les frères Collison s’est taillé une solide réputation pour ses solutions permettant aux entreprises de recevoir des paiements électroniques, elle a préféré s’allier à Klarna pour mettre à disposition de ses clients le service de BNPL de la fintech suédoise.
Les régulateurs affûtent leurs armes pour réglementer le BNPL
Devant l'effervescence du secteur et la multiplication des acteurs pour en tirer profit, les régulateurs méditent. En effet, craignant que les solutions BNPL n'entraînent une augmentation de l'endettement, principalement chez les jeunes consommateurs, les autorités françaises entendent légiférer sur le sujet. D'autant plus que les petits crédits de moins de trois mois et 200 € échappent à la réglementation nationale, tout comme les paiements fractionnés sur moins de 90 jours.
Mais pour la France comme pour les autres pays du Vieux Continent, tout devrait se jouer à Bruxelles dans le cadre de la révision de la directive européenne sur le crédit à la consommation. Cette dernière pourrait en effet aboutir à un meilleur encadrement du paiement fractionné. Encore faut-il que cette directive soit adoptée… Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, avait d’ailleurs laissé entendre fin 2021 que le gouvernement profiterait de la présidence tricolore de l’Union européenne pour appuyer une directive européenne adaptée aux nouveaux usages autour du crédit à la consommation. Évoluant désormais en dehors de l’UE, le Royaume-Uni a lancé une consultation sur le paiement fractionné qui pourrait également aboutir à une réglementation. Quant à la Suède, berceau de Klarna, elle a déjà franchi le pas depuis 2020 en interdisant de proposer le BNPL avant d’autres options de paiement.
Outre-Atlantique, le Bureau de protection des consommateurs en matière financière (Consumer Financial Protection Bureau, CFPB) s’est également emparé du sujet en invitant les entreprises liées au paiement fractionné à clarifier leurs pratiques pour que les clients soient parfaitement informés des risques qu'ils prennent avec des solutions BNPL. “Le consommateur obtient le produit immédiatement, mais contracte aussi une dette immédiatement”, a notamment souligné son directeur, Rohit Chopra. En septembre dernier, une enquête révélait qu'un tiers des consommateurs américains ayant eu recours aux services BNPL ont pris du retard dans un ou plusieurs paiements. Pas franchement une bonne nouvelle quand on sait que la dette sur les cartes de crédit atteint 800 milliards de dollars aux États-Unis.
Paiement fractionné : les start-up et la pandémie ont remis au goût du jour le crédit conso - Les Numériques
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