Après la décision des États-Unis de ne plus autoriser la Russie à rembourser sa dette avec des dollars détenus dans des banques américaines, Moscou a annoncé avoir réglé en roubles une dette en dollars, ce qui augmente le risque que le pays soit déclaré en défaut de paiement. Débrouillage d’une mécanique inter-institutions complexe.
Comment fonctionne le remboursement ?
Lorsqu’un État ou une société rembourse un emprunt libellé en devises étrangères ou paie des intérêts liés à un tel emprunt, la somme est virée sur un compte ouvert par une banque nationale dans une banque correspondante à l’étranger.
Cette dernière doit vérifier s’il est possible ou non de procéder au paiement.
Passée cette analyse de conformité, elle dépose l’argent dans un sous-compte qui va être contrôlé par une banque agent payeur avant que les sommes soient versées aux détenteurs des obligations.
Pourquoi une telle prudence ? La Société Générale, banque française, s’était vu infliger en novembre 2018 une amende de 1,34 milliard de dollars américains par les autorités américaines pour avoir contourné des embargos imposés par Washington. Avant elle, BNP Paribas avait reconnu en 2014 avoir violé des embargos américains contre Cuba, l’Iran et le Soudan, et avait payé 8,9 milliards de dollars américains pour échapper à des poursuites aux États-Unis.
Que signifie le défaut de paiement d’un État ?
Un pays est jugé en défaut de paiement quand il est incapable d’honorer ses engagements financiers auprès de ses créanciers, qui peuvent être des États, des institutions financières (Fonds monétaire international, Banque mondiale, etc.) ou des investisseurs sur les marchés financiers. Le défaut est qualifié de partiel quand l’État ne rembourse pas une partie de ses obligations.
Le gouvernement lui-même peut se déclarer en défaut de paiement en annonçant qu’il cesse de rembourser ses échéances de dette, comme l’avait d’ailleurs fait la Russie en 1998. L’annonce peut aussi provenir d’une agence de notation après un délai de grâce.
Le défaut peut encore être officialisé par un créancier privé révélant publiquement qu’un pays a cessé de le rembourser, ou encore par l’agence américaine ISDA (International Swaps and Derivatives Association), qui régit les CDS, une sorte d’assurance contre le défaut de paiement.
La Russie est-elle bien aux portes du défaut de paiement ?
Pendant plusieurs semaines, la Russie a écarté le danger d’un défaut de paiement, le Trésor américain ayant permis l’utilisation de devises étrangères détenues par Moscou à l’étranger pour régler des dettes extérieures. En mars, la Russie a ainsi payé plusieurs tranches d’intérêts, montrant sa volonté et sa capacité de rembourser.
Mais, depuis lundi, le département américain du Trésor n’autorise plus la Russie à rembourser sa dette avec des dollars américains détenus dans des banques américaines. Ainsi, JP Morgan, qui servait de banque correspondante, a bloqué un paiement.
En conséquence, le ministère des Finances russe a annoncé mercredi avoir réglé en roubles près de 650 millions de dollars américains dus le 4 avril.
« L’État russe, comme de nombreuses entreprises russes, est poussé à un défaut technique, un événement sans précédent », indique à l’AFP Slim Souissi, spécialiste des banques et des défaillances des États et directeur adjoint de l’Institut universitaire professionnalisé de Caen.
« Le remboursement doit se faire dans des conditions qui sont au moins aussi favorables que ce qui a été initialement convenu. » Or, « dans la mesure où le remboursement est en roubles, alors que le contrat obligataire stipulait un remboursement en dollars américains uniquement, cela peut être considéré comme un défaut de paiement », explique-t-il.
Le remboursement effectif de la dette survient au moment où l’investisseur touche son argent. Pour l’heure, la situation n’est pas claire et un défaut de paiement pourrait être formellement constaté après une période de grâce de 30 jours à compter du 4 avril.
Qui sert d’arbitre ?
Les agences de notation Fitch et Moody’s ont abandonné l’évaluation de la dette de l’État et des entreprises russes, dans le cadre des sanctions décidées contre la Russie. L’agence S&P Global Ratings doit faire de même « avant la mi-avril ». Il n’est pas certain qu’elle prononce un défaut de paiement de la Russie d’ici à cette date.
Des poursuites sont-elles envisageables ?
« Théoriquement », les créanciers peuvent « intenter une action en justice contre l’État russe pour se faire rembourser », selon M. Souissi. Même si les marges de manœuvre semblent assez réduites.
La Russie pourrait également faire contester le défaut de paiement devant les tribunaux au motif qu’elle a été empêchée d’honorer sa dette étrangère par les sanctions financières prises à son encontre.
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Sanctionnée, la Russie se dirige-t-elle vers un défaut de paiement de sa dette? - Le Devoir
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