Quarante milliards de dollars. C’est le montant estimé de la dette extérieure russe, et l’un des nombreux points de tensions entre Moscou et l’Occident depuis le début de l’invasion en Ukraine, fin février. Durant plusieurs semaines, la Russie a continué à rembourser normalement, au gré des échéances. Mais début avril, parmi les sanctions prises pour faire pression sur le Kremlin, le Trésor américain lui a interdit de rembourser sa dette avec des dollars placés dans des banques américaines.
Moscou a donc effectué des versements en roubles, puis de nouveau en dollars – toujours non placés aux Etats-Unis. Peut-on parler de défaut de paiement (voir encadré) ? Pour quelles conséquences ? 20 Minutes a interrogé Carl Grekou, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), spécialiste en macroéconomie et en finance internationales.
La Russie est-elle actuellement en défaut de paiement vis-à-vis de sa dette ?
Ce n’est pas un défaut habituel, dans le sens d’une incapacité à rembourser sa dette, mais plutôt un défaut technique. La Russie a les capacités de rembourser sa dette, mais elle fait face à des créanciers qui refusent les transactions financières par les canaux habituels.
C’est-à-dire ?
Concrètement, Washington refuse les paiements de la Russie avec des dollars détenus aux Etats-Unis. Donc Moscou ne peut plus rembourser sa dette. C’est comme si vous alliez chez l’épicier, et celui-ci vous dit : « je refuse que vous fassiez des transactions avec moi en euros ». Donc si vous n’avez pas d’autres monnaies, techniquement, vous ne pouvez pas faire vos courses.
C’est la même chose pour la Russie : elle détient les dollars pour honorer ses dettes, mais elle ne peut pas les utiliser car Washington refuse de les prendre. C’est une façon d’isoler la Russie et de la contraindre au défaut. Mais elle a d’autres avoirs dans d’autres pays, qui eux ne sont pas gelés.
D’autant que la Russie continue de fournir l’Europe en énergie, si bien que sa balance commerciale souffre peu…
Oui, et dans le même temps, les Occidentaux bloquent les importations vers la Russie. Ce qui, mécaniquement, lui donne davantage d’excédents. La Russie va très probablement redistribuer sa demande de biens importés, plutôt au bénéfice de la Chine, qui peut parfaitement se substituer aux produits occidentaux.
Les principales agences de notation occidentales – Fitch, Moody’s, S & P Global Ratings – ont abandonné l’évaluation de la dette russe. Comment l’interpréter ?
C’est un jeu politique. D’un côté, la Russie a la capacité d’honorer sa dette. De l’autre, l’Occident utilise toute la machine financière et économique – notamment la dégradation des notes via ces agences – sans se poser la question de l’origine du défaut. Or ce dernier est purement dû à l’isolement de la Russie, et non à ses capacités de remboursement. Les notations de ces agences sont en réalité une arme de plus.
La Russie compte parmi les seuls pays au monde qui ne sont pas créditeurs : elle a plus de créances que de dettes, et ses créances sont majoritairement, sinon exclusivement, en monnaies étrangères (dollars, euros…). Or, on l’a dit plus haut : les Occidentaux refusent d’honorer ces créances-là.
Qu’en est-il alors à court terme pour la dette russe ?
Moscou a mis en place de nombreuses sécurités pour ne pas se laisser avoir, et le pays a de l’expérience dans le domaine. Il n’y a pas de conséquence à court terme, mais davantage, peut-être, pour les emprunts futurs.
Vers qui la Russie peut-elle se tourner ? Principalement vers l’Asie ?
Je ne serai pas surpris que des pays acceptent de prêter à la Russie, éventuellement à des taux d’intérêt un peu plus élevés. Sinon, il y a toujours la Chine qui pourrait prêter. Mais je ne suis pas certain que ce soit intéressant pour Moscou de se jeter dans la gueule du loup…
Guerre en Ukraine : « Contraindre la Russie au défaut de paiement fait partie du jeu politique » - 20 Minutes
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