Les vacances de Noël et les fêtes de fin d’année approchent : vous êtes probablement en train d’acheter des cadeaux, ou d’y réfléchir. Mais l’inflation est là, et il faut faire attention à ses dépenses ; surtout quand elles se déroulent, de plus en plus, sur le web. Vous aurez peut-être remarqué, lors de votre shopping en ligne, une option vous permettant d’acheter quelque chose en plusieurs fois.
A titre personnel, j’ai déjà acheté plusieurs produits high-tech de cette façon, sur les sites de Samsung et Back Market. La fonctionnalité proposée, « 3X 4X », y est assurée par un intermédiaire, Oney. Cette filiale du groupe BPCE existe depuis 1983 en tant que solution de crédit en magasin, puis comme banque en ligne. Elle a été fondée par Auchan Holding (qui conserve 49 % du capital), et se spécialise depuis 15 ans dans les solutions de paiement digitales. Mais depuis 4 ou 5 ans, Oney Bank s’est lancée à corps perdu dans le créneau du « Buy Now, Pay Later » (BNPL), ou « paiement fractionné en plusieurs fois » (PnF) en français.
Sa solution en la matière, 3X 4X, est utilisée sur le web par des enseignes comme AirFrance, LastMinute, Gifi, MrBricolage, ManoMano, Alinea, Boulanger, Decathlon, Kiabi, Cultura, Swarovski, AliExpress, Nocibé. ADN « retail » oblige, elle est aussi présente sur les sites d’Auchan et Chronodrive. 3X 4X permet, comme son nom l’indique, d’acheter quelque chose en payant en 3 ou en 4 fois. Pratique, quand il n’est pas possible de débourser par exemple 800 ou 900 euros pour un smartphone. En tout cas en une seule fois.
Le « boom » du paiement fractionné
Oney n’est évidemment pas le seul acteur du paiement fractionné à tenter de vous séduire lors de vos achats en ligne. L’autre acteur « installé » du BNPL est FLOA Bank. Rachetée par la BNP en 2021 au groupe Casino et au Crédit Mutuel, elle propose une solution de paiement en 4 fois : « FLOA 4X ». Cette solution, qui permet de « financer la totalité d’un panier d’un montant de 50€ à 6 000€, fractionné en 4 mensualités », est utilisable sur de nombreux sites marchands, comme CDiscount, MisterFly, EasyCash, ou encore RED by SFR et Fnac.com. Outre Oney et FLOA, une multitude de start-ups et de « scale-ups » sont entrées dans la danse, à partir de 2015 environ, quand est arrivée la vague de la « fintech ».
De jeunes pousses françaises comme Alma, Pledg, Cresh et Joe, lancées entre 2016 et 2020, proposent des solutions de « facilités de paiement » qui permettent « d’acheter maintenant et de payer plus tard ». Mais elles font aussi face à deux concurrents de poids, venus d’Australie et de Suède : Clearpay (Afterpay) et Klarna.
Fondée en 2014 à Sidney, Afterpay compte 29 millions de clients et 86 000 marchands partenaires dans le monde, qui utilisent la plateforme à travers l'Australie, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l'UE (où elle s'appelle Clearpay). La startup a été récemment rachetée par Block, anciennement Square, une société américaine spécialisée dans les paiements numériques fondée par Jack Dorsey, le patron de Twitter. Sa solution permet d’acheter « maintenant » et de payer en 3 fois, sur 60 jours, sans aucun frais, sur des boutiques en ligne comme Showroom Privé, Saveur Bière, Pretty Little Thing, Shein, ou Opaark.
De son côté, Klarna a été créée en 2005 à Stockholm, et dispose d’une licence bancaire depuis 2018, ce qui lui permet de proposer une application et un module e-commerce pour payer en 3 fois. Là encore, on peut utiliser sa solution sur les sites de Zadig & Voltaire, Versace, Showroom Privé, Pimkie, Lacoste, Hugo Boss, Caudalie, ou encore Adidas. L’appli propose aussi des sélections de produits : « Une seule solution pour tout acheter - Des essentiels de tous les jours aux articles de luxe, achetez plus malin avec Klarna." Alléchant, non ?
A noter que PayPal n’a pas tardé à suivre le mouvement, en lançant son propre service de BNPL, en 2020, baptisé « Pay in 4 ». De son côté, Apple travaille avec la banque new-yorkaise Glodman Sachs pour déployer également un service de paiement fractionné en 4 fois et plus. En attendant, le géant de la tech vient d’arrêter son partenariat avec Alma, officiellement suite à des dysfonctionnements.
Cette explosion de startups illustre l’actuel « boom » du BNPL. Actuellement, entre 30 et 40 % des consommateurs utilisent de tels services (contre 25 % en 2021). Ces solutions représentent globalement 2 % des achats en ligne, mais elles montent d’année en année, avec d’importantes levées de fonds. Les solutions de « Buy now, pay later » ont engendré 93 milliards de dollars sur les ventes mondiales en 2021 selon Bloomberg Intelligence. Le cabinet d'études Kaleido Intelligence prévoit que les dépenses utilisant des services BNPL pourraient atteindre les 680 milliards de dollars à travers le monde d’ici à 2025. Une poussée exponentielle, accélérée par la crise du Covid-19, ses confinements et son télétravail généralisé (qui ont profité au e-commerce) ; et qui est due à un concept intéressant, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs.
Un concept « gagnant-gagnant »
Le principe du paiement fractionné, en plusieurs fois, n’est pas nouveau, mais le numérique offre un « parcours utilisateur » fluide, qui permet aujourd’hui de régler un achat en plusieurs fois sans les contraintes imposées par la Loi Lagarde sur les crédits de plus de 90 jours. Il ne s’agit pas d’un crédit à la consommation, mais d’une « facilité de paiement », qui ne court que sur 3 mois. Etant donné qu’il s’agit d’une courte période, donc d’un prêt à court terme, le taux d'intérêt ou les frais sont nuls. Des frais ne sont ainsi prélevés que si vous n’effectuez pas vos paiements. En outre, contrairement au crédit classique, les financements sont octroyés quasiment instantanément, après quelques clics, avec des délais de traitement très courts.
« Le paiement en plusieurs fois séduit par sa simplicité et parce qu’il répond au besoin de mieux maîtriser son budget, et d’autant plus dans un contexte de tensions sur le pouvoir d’achat. 3 consommateurs sur 4 annoncent qu’ils feront davantage attention à leur budget en 2022 qu’en 2021 et 42 % estiment que le paiement fractionné est un nouveau levier pour mieux gérer son budget. Il permet de lisser sa consommation mais aussi, pour certains, d’accéder à des produits de gamme supérieure ou de meilleure qualité, donc plus durables », observe Jean-Pierre Viboud, CEO de Oney.
Du côté des commerçants, le « Buy Now, Pay Later », qui « facilite » le paiement, permet de voir le panier moyen augmenter, de 20 à 70 % en fonction de leur secteur. Les startups du BNPL jouent le rôle de plateformes intermédiaires : ce sont elles qui paient les vendeurs et récupèrent l’argent auprès des acheteurs. Ainsi, les e-marchands sont payés immédiatement, tout en séduisant des clients qui ne seraient pas forcément passés à la caisse sans paiement fractionné. Un concept que Jean-Pierre Viboud qualifie logiquement de « gagnant-gagnant ».
Comment les sociétés de BNPL gagnent-elles de l’argent ?
Comment les sociétés de BNPL peuvent-elles gagner de l’argent, s’il n’y a aucun frais, ni intérêts ? D’abord grâce aux commissions. Avec le « Buy now, pay later », le commerçant paie un intermédiaire pour assumer le risque d’impayé, tandis que l’acheteur peut payer en plusieurs fois, sans réelle limite de montants (entre 500 et 800 euros en moyenne). La société de paiement fractionné, qui avance les fonds au vendeur et qui s’occupe de récupérer l’argent auprès du client, touche en retour des « frais de traitement » sur chaque transaction.
L’autre façon pour les acteurs du BNPL de gagner de l’argent sont moins positives pour les consommateurs : elles perçoivent des « frais de retard » auprès des clients qui ne paient pas, ou des intérêts si les prêts finissent par dépasser 90 jours. Clearpay affirme que son service est « toujours gratuit pour le consommateur final, sans frais d’intégration ou d’abonnement », mais précise bien que cela ne concerne que ceux qui « paient à temps ». « Cela aide les gens à dépenser de manière responsable sans encourir d'intérêts, de frais ou de dettes prolongées », avance la start-up. Si un client manque un paiement, il ne peut plus utiliser Clearpay « tant que ses paiements ne seront pas à jour ». Des frais de retard sont facturés, mais ils sont fixes, plafonnés et ne « s’accumulent pas dans le temps », note l’entreprise. « Les clients ne sont jamais prisonniers d'une dette renouvelable et ne supportent pas d'intérêts », ajoute-t-elle.
Certaines sociétés comme Alma ne facturent pas de pénalités de retard, mais la plupart des concurrents de Clearpay prélèvent des frais de pénalité. « En dernier recours », mais des frais quand même. D’après le Wall Street Journal, Klarna et Clearpay / Afterpay facturent par exemple 25 % du montant engagé en cas de retard de paiement. Selon Les Echos, ce système représente 15 % des revenus de ces start-ups.
Un risque de surendettement ?
Une stratégie payante, donc, pour les acteurs du BNPL, mais qui inquiète les régulateurs. Forcément, qui dit paiement fractionné, dit risque de tomber dans un réel surendettement, à force de se laisser tenter et de multiplier les achats en BNPL. Si bien que certains experts craignent que pour gagner davantage d’argent et capter plus de parts de marché, certaines de ces entreprises pourraient « se laisser tenter à assouplir les critères d’acceptation des crédits ». Quitte à « mettre les gens dans des positions impossibles ».
Les sociétés de fintech vérifient la solvabilité des utilisateurs d’une façon plus ou moins rapide - en quelques minutes, voire quelques secondes, vous êtes approuvé ou non. Ce qui n’a donc rien à voir avec les conditions d’octroi d’un prêt, qui implique une vérification assez poussée. Les start-ups du BNPL mettent en avant l’utilisation de techniques de « scoring », souvent gardées secrètes, au moyen d’outils boostés à l’IA. D’autres, comme Clearpay / Afterpay, ont recours à des partenaires bancaires, mais seulement pour « vérifier l’existence de certains clients ». Parfois, des applications, comme Joe, demandent au consommateur de connecter directement son compte bancaire au service pour pouvoir l’utiliser. Mais globalement, tout repose surtout sur une « vérification de crédit douce », basée notamment sur l’historique de remboursement du client (s’il est souvent en retard, son « score de crédit » sera bas). Avec l’apprentissage automatique comme bouclier.
Ce fonctionnement inquiète donc logiquement de nombreux experts, ainsi que des associations de consommateurs. En 2021, l’UFC-Que Choisir a déposé plainte en avril dernier pour « pratiques commerciales trompeuses » à l’encontre de plusieurs sociétés, dont FLOA Bank. En parallèle, l’association a demandé aux législateurs européens de “mettre un terme aux passe-droits faits aux minicrédits en les soumettant à la réglementation qui s’applique aux crédits classiques.” De son côté, l’UE planche justement sur un projet de révision de la directive de 2008 sur le crédit à la consommation, afin d’ntégrer les BNPL au cadre légal couvrant les crédits dépassant une durée de 90 jours. En France, si la directive changeait, les paiements fractionnés de moins de 200 euros et étalés sur moins de 90 jours devraient ainsi répondre à la loi Lagarde. A noter que le projet de Bruxelles vise aussi à améliorer "les règles d’évaluation de la solvabilité des consommateurs" afin "d’éviter le surendettement". Aux USA, le « Bureau américain de protection financière des consommateurs (CFPB) a de son côté ouvert une enquête sur le BNPL, et a récemment averti les consommateurs que ce système pouvait « potentiellement les conduire à s’endetter ».
Un usage un peu trop facile
Les associations comme les régulateurs s’inquiètent face à la facilité déconcertante de ces solutions (quelques clics pour un paiement en 4 fois), qui risquerait surtout d’impacter les consommateurs les plus jeunes. Des jeunes qui ne maîtrisent pas toujours bien leurs finances, qui sont sensibles aux applis aux designs colorés et faciles d’utilisation, et qui sont biberonnés à Instagram et TikTok. Des réseaux sociaux où « des influenceurs incitent constamment à acheter le dernier sac ou produit de beauté à la mode », observe Lauren Goode, dans un podcast de Wired. La journaliste tech a récemment rencontré Max Levchin, cofondateur de PayPal (avec Elon Musk) et fondateur d'Affirm, une application du même type que Clearpay / Afterpay ; mais uniquement disponible sur le continent américain et en Australie. Sans surprise, Max Levchin affirme que « la technologie peut sauver la situation, et que les algorithmes d'apprentissage automatique d'Affirm empêcheront les prêts trop risqués ». Il avance en outre que seuls 3 % des consommateurs n’honorent pas leurs prêts, et que son entreprise ne les assaille pas non plus : « même si nous sommes capables de repérer une personne qui emprunte 1000 dollars alors que son revenu mensuel net est de 500 dollars, un client qui a une solvabilité correcte n’est jamais à l’abri d’un accident de parcours. Les personnes qui passent de ‘Je vais bien, tout va bien’ à ‘Oh merde, j'ai été licencié et je ne peux pas payer mes factures’ sont généralement d'excellents clients. Ils sont vraiment confrontés à des difficultés de manière très inattendue et ce n'est pas le moment pour nous de leur dire : ‘Oh cool, vous avez perdu votre emploi ? Allons-y pour des pénalités de retard.’ »
Le risque n’est finalement pas tant le risque d’endettement lié à un seul achat en BNPL, que l’accumulation de ce type de paiements. Certes, les achats concernent souvent des produits ne dépassant pas 800 euros à l’achat, donc 260 euros par mois à peu près, pendant 90 jours. Mais que se passerait-il si, pris dans une frénésie d’achat, vous accumuliez les paiements fractionnés, sans que le ou les acteurs concernés ne s’en rendent compte ? « L’idée de s'affranchir des cartes de crédit est super attrayant pour la jeune génération, mais vous pouvez facilement vous faire aspirer par la facilité du processus. La commodité peut elle même être un piège : la vérification ‘douce’ des solutions de BNPL fait que si vous êtes bloqué sur une application comme Klarna ou Afterpay pour retard de paiement, vous pouvez toujours essayer un autre service », observe de son côté Leslie Tayne, avocate spécialisée dans l’allègement des dettes. Dans L’Usine Digitale, le responsable marketing d’Alma estime que « le BNPL, c'est surtout une question de philosophie face à l'argent. Tout comme il y a des gens qui refusent d'acheter s'ils n'ont pas les revenus nécessaires, il y en a, à l'inverse, qui font en sorte de pouvoir acheter maintenant quitte à rembourser plus tard ». Une philosophie apparemment partagée par de nombreux jeunes de la génération Z : sur TikTok, ils sont ainsi nombreux à afficher leurs dettes et paiements en cours sous le hashtag Klarna.
Selon une étude de Capco, « plus de la moitié » des 18-34 ans qui utilisent des solutions de BNPL ont « manqué un paiement et ont dû faire face à des pénalités » en 2021. A noter que 70 % d’entre eux estiment que ces systèmes les « incitent à dépenser plus ». Chez Wired, Lauren Goode, qui a testé Klarna et Affirm, observe qu’après avoir acheté des produits en plusieurs fois, elle s’est retrouvée « plongée dans leurs boucles d’e-mails, jusqu’à la fin des temps », avec des messages promouvant des produits, et invitant plus globalement à l’achat.
« Achetez maintenant, payez plus tard » : comment le paiement fractionné fonctionne vraiment - CNET France
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