Nouveau Projet, un mauvais payeur ? Plusieurs collaborateurs dénoncent les délais de paiement « déraisonnables » de la revue, qui met parfois plus de six mois à rémunérer ses artisans à la pige. Ils déplorent un manque de transparence, mais aussi de considération pour leur travail.
« Je ne voulais pas jouer cette carte, mais j’attendais après ça pour payer mon loyer. Écrire, c’est un travail », lance en entrevue Sarah Toussaint-Léveillé, gagnante du concours d’essai 2022 de Nouveau Projet pour son texte « La floraison des miroirs », paru en septembre de la même année.
Un an après avoir appris sa victoire, l’artiste non binaire indique n’avoir toujours pas reçu son prix de 1000 $. Sarah Toussaint-Léveillé a pourtant relancé à deux reprises l’équipe de la revue, mais chaque fois, on lui répondait que l’attente était plus longue en raison « d’enjeux importants de liquidités ».
« J’ai passé beaucoup de temps à réécrire ce texte, qui était très personnel. J’ai senti qu’on avait abusé de ma confiance, abusé de moi », confie l’artiste, qui a décidé de dénoncer cette situation sur ses réseaux sociaux mardi, espérant « ouvrir une discussion » et faire changer les choses.
De nombreuses personnes ont rapidement relayé son message, certaines en racontant avoir vécu la même situation. Parmi elles, il y a l’autrice Laurence Pelletier, qui a obtenu la troisième place du concours d’essai 2022 de Nouveau Projet. Elle a reçu son prix de 250 $ il y a quelques semaines, mais après des mois d’acharnement à relancer l’équipe de la revue. Elle a même fini par faire appel aux services juridiques de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois pour faire avancer le dossier.
« Ironiquement, l’essai que j’avais écrit pour ce concours portait sur la précarité. Deux cent cinquante dollars, c’est pas beaucoup, mais par principe, et dans le contexte économique qui était le mien, je trouvais ça révoltant de ne pas être payée », explique-t-elle.
Charlotte Lehoux a de son côté « trouvé le courage » mardi, grâce à la publication de Sarah Toussaint-Léveillé, de réclamer les 700 $ que Nouveau Projet lui doit depuis un an, pour ses photos accompagnant le texte « Les temps vulnérables de l’université ». Il s’agissait du premier contrat professionnel de cette photographe amatrice.
« Je pensais être tombée dans les craques, je n’osais pas les relancer. Mais cette situation est inacceptable », dénonce-t-elle en entrevue, précisant avoir refusé tout autre contrat depuis, « grandement refroidie » par cette expérience.
Et la situation n’a rien de nouveau, selon plusieurs anciens collaborateurs. Après la publication de Sarah Toussaint-Léveillé, l’ex-députée solidaire Catherine Dorion a raconté avoir dû réclamer quatre fois un cachet resté impayé depuis 2020, avant de finalement toucher la somme deux ans plus tard.
L’histoire de Sarah, dit-elle, n’est pas « un oubli fâcheux », un truc « tombé dans la craque, une exception ». Selon elle, cela fait des années que Nouveau Projet rémunère avec beaucoup de retard ses collaborateurs. Elle donne aussi en exemple le cas de son ami Martin Bruneau, dont plusieurs dessins se trouvent dans son livre Les luttes fécondes, publié en 2017 par Atelier 10, l’éditeur de la revue Nouveau Projet.
Le peintre a confirmé au Devoir avoir dû « relancer, relancer et relancer » l’équipe de direction pour recevoir sa rémunération. « La réponse était toujours cavalière, peu respectueuse, peu à l’écoute de la situation. Ça a pris des mois, presque un an pour qu’on me paye », déplore-t-il.
Une période de turbulences
Contacté par Le Devoir, Nicolas Langelier, rédacteur en chef de Nouveau Projet et directeur d’Atelier 10, reconnaît avec regret qu’il y a présentement des délais de rémunération « particulièrement longs » en raison de problèmes de liquidités. « On aimerait payer les gens plus vite, c’est sûr, mais c’est important de dire qu’ils finissent par être tous payés. […] Il y a une pile de factures, puis on y va une par une, et finalement, on arrive à eux », ajoute M. Langelier, sans pouvoir s’avancer sur le nombre d’artisans en attente d’un paiement.
Il souligne que la revue traverse une période de turbulences, comme bon nombre de magazines imprimés au pays. Le coût du papier a bondi, les ventes en kiosque sont en baisse, les revenus publicitaires fondent comme neige au soleil et les subventions se font rares.
« On ne fait pas de profit et il y a beaucoup de choses à payer en ce moment. Mais le magazine n’est pas en péril, des sous s’en viennent dans les prochains mois », assure-t-il, précisant attendre une subvention de Patrimoine Canada. « On va pouvoir faire un beau rattrapage. »
Il reconnaît à regret que cela fait plusieurs années que les délais de paiement s’accumulent et dit travailler fort à régler ce problème. Mais hors de question pour lui de diminuer les montants alloués aux collaborateurs. « Comme ancien président de l’AJIQ [l’Association des journalistes indépendants du Québec], ça a toujours été important pour moi de bien payer les collaborateurs […] mais je ne peux pas inventer de l’argent. »
« Si une entreprise est capable d’émettre et de gérer des paies d’employés aux deux semaines, il n’y a aucune raison qu’elle ne soit pas capable de faire un virement ou d’envoyer un chèque ponctuel aux pigistes dans des délais raisonnables », a fait valoir l’AJIQ dans une publication écrite sur Instagram mercredi, alors que plusieurs de ses membres sont aussi en attente d’un paiement. L’association soulève d’ailleurs avec ironie le fait que Nicolas Langelier a remporté cette semaine le prix de rédacteur en chef de l’année aux Prix du magazine canadien. « C’est inacceptable. »
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Des collaborateurs de «Nouveau Projet» dénoncent des délais de paiement « déraisonnables » - Le Devoir
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