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Tuesday, September 7, 2021

L'envol du huard numérique - L’actualité

Le paiement en argent comptant est en chute libre au Canada. Seulement 18 % du volume des achats effectués en 2019 a été réglé avec des billets et des pièces, comparativement à 33 % en 2014, selon une récente étude de Paiements Canada, l’entité responsable des systèmes d’échange financier au pays. Moneris, une entreprise technologique spécialisée dans le traitement des paiements, prévoit même que les achats en argent comptant ne représenteront que 10 % des sommes dépensées au Canada en 2030.

Ce virage inquiète la Banque du Canada, dont la mission première consiste à préserver la stabilité financière du pays. C’est que l’argent comptant présente des avantages que les autres formes de paiement n’ont pas. Il permet notamment de faire une multitude de petites transactions qu’il est souvent complexe de faire électroniquement, comme acheter son café le matin, rembourser à un ami la somme qu’il a avancée la veille au restaurant, donner de l’argent de poche à ses enfants, se procurer une pinte de lait au dépanneur, payer pour le gardiennage… Il est aussi accessible à tous ; si jamais les billets et les pièces se raréfiaient, voire disparaissaient, ceux qui n’ont pas de compte bancaire seraient incapables d’effectuer le moindre achat. « Se priver de ces avantages mettrait à mal un grand nombre d’échanges économiques dans la société. Cela nuirait directement à l’économie canadienne », a expliqué Timothy Lane, sous-gouverneur de la Banque du Canada, lors d’une conférence tenue l’an dernier à Montréal. 

D’où l’idée de créer de l’argent comptant… sous forme virtuelle. Il s’agirait d’une monnaie numérique conçue et gérée par la Banque du Canada, le huard électronique, qui équivaudrait à un huard. « Ce serait vraiment l’équivalent de l’argent comptant », a souligné Timothy Lane.

Pour se servir de cette monnaie numérique, il suffirait d’ouvrir un compte à la Banque du Canada, d’y déposer de l’argent et d’utiliser la carte électronique ou l’application liée à celle-ci. Plus besoin, dès lors, d’utiliser sa carte bancaire ou sa carte de crédit pour régler ses achats quotidiens. Plus de risque non plus de devoir payer des frais de commodité, comme cela peut survenir lorsqu’on se sert d’une carte de débit ou de crédit. Le huard électronique permettrait des transactions « faciles, rapides et sécuritaires », résume Katrin Tinn, professeure de finance à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, à Montréal.

Ce nouveau mode de paiement présenterait une différence importante par rapport à un paiement par carte de débit ou de crédit : son absence de coût pour le vendeur comme pour l’acheteur.

Selon Andreas Park, professeur de finance à l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto, la Banque du Canada ne facturerait rien au commerçant puisqu’elle n’a pas pour mission d’engranger des profits, contrairement aux institutions financières privées. De fait, un paiement par carte de crédit coûte à un commerçant « entre 1,5 % et 4 % de la valeur brute de la vente, en fonction de la carte utilisée », dit-il. En conséquence, « les commerçants sont incités à répercuter une partie de ces coûts sur les consommateurs ».

Même chose en ce qui concerne les cartes de débit : la Banque du Canada ne facturerait « pas de frais de commodité », notamment pour l’utilisation d’un terminal de paiement. Les commerçants n’exigeraient donc pas de frais liés à la carte ou à l’application de la Banque du Canada, ni le paiement d’une somme minimale pour pouvoir régler en dollars numériques, selon le professeur de Rotman.

Autre intérêt du paiement en huards électroniques, même s’il ne serait pas exclusif à cette monnaie : les découverts seraient impossibles. Car les titulaires d’un compte à la Banque du Canada ne seraient autorisés à dépenser que l’argent dont ils disposent. Pas un sou de plus. « Cela pourrait freiner nombre d’achats impulsifs, des achats qu’on finit par regretter, la plupart du temps », note Mario Fortin, professeur de finance à l’Université de Sherbrooke.

Mais ce mode de paiement n’aurait pas que des avantages. Pour Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale, le huard électronique a le potentiel d’une « innovation de rupture », en ce sens qu’il risquerait de court-circuiter le traditionnel parcours bancaire de l’argent. Car des Canadiens pourraient moins se servir de leurs comptes actuels pour utiliser presque exclusivement celui de la Banque du Canada. Ce qui serait un coup dur pour les institutions financières privées.

« Les banques, les entreprises de cartes de crédit et les processeurs de paiements numériques sont fébriles », reconnaît Angelo Katsoras dans une étude sur les monnaies numériques de banque centrale dévoilée en mai dernier. « En ce moment, ils tentent d’évaluer l’impact négatif que pourraient avoir les monnaies numériques telles que le huard électronique sur leurs bénéfices. »

Une seule monnaie numérique de banque centrale existe présentement : le « dollar de sable » des Bahamas, apparu en octobre 2020.

La Chine en est, elle, à la phase de tests. Tout comme les habitants de 17 autres villes, les résidants d’un quartier de Shanghai se servent du yuan électronique depuis mars dernier. Ils paient leurs achats avec leur cellulaire, par l’intermédiaire d’une application de la banque centrale chinoise.

Aux États-Unis, la Réserve fédérale s’est associée en 2020 au Massachusetts Institute of Technology (MIT) afin de mettre au point une plateforme technologique permettant de se servir d’une monnaie numérique de banque centrale. Cette monnaie est provisoirement dénommée « fedcoin ». Par ailleurs, le Digital Dollar Project a été lancé en mai dernier, à l’initiative d’entreprises privées, sous la houlette du cabinet-conseil en technologie Accenture et de l’organisme sans but lucratif Digital Dollar Foundation. Ce projet consiste en cinq tests grandeur nature qui doivent avoir lieu en 2021 et en 2022.

Enfin, une étude de la Banque des règlements internationaux, qui regroupe 60 banques centrales, montre que 60 % de ses membres estiment qu’ils seront en mesure d’émettre leur monnaie numérique « d’ici les six prochaines années ».

Et le Canada ? Timothy Lane, sous-gouverneur de la Banque du Canada, a déclaré en mai dernier qu’il n’y avait « pas d’urgence » à créer le huard électronique. Des analyses d’infrastructures informatiques et de retombées socioéconomiques ont été demandées par la banque centrale à différents experts, notamment les professeurs Katrin Tinn et Andreas Park. Et c’est presque tout ! Néanmoins, ces mêmes experts, interrogés par L’actualité, pensent quant à eux que le huard électronique pourrait « bientôt » prendre son envol : cela pourrait survenir « d’ici trois, quatre ou cinq années », estime Kyoung Jin Choi, professeur de finance à l’École de commerce Haskayne de l’Université de Calgary. Car la Banque du Canada ne pourra faire autrement que de tenir compte du « virage numérique effectué par les Canadiens dans leurs modes de paiement ».

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