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Tuesday, May 23, 2023

Etats-Unis : quelles seraient les conséquences d'un défaut de paiement de la dette ? - Libération

Il ne leur reste que dix jours. Et dix jours, cela peut sembler court quand il s’agit de trouver un accord pour permettre à la première puissance économique mondiale d’éviter la banqueroute. Car depuis quelque temps, une nouvelle menace de défaut de paiement plane sur les Etats-Unis. Un imbroglio politico-budgétaire qui a même forcé Joe Biden à écourter son voyage en Asie-Pacifique dans le cadre du G7 pour reprendre les discussions à Washington. En cause ? Les dissensions au sein du Congrès - le Sénat tenu par les démocrates et la Chambre à majorité républicaine - chargé du vote pour relever le plafond maximal d’endettement public autorisé.

Décryptage

Et si ces derniers temps, la Maison Blanche n’a cessé de multiplier les mises en garde sur un possible défaut de paiement, c’est parce qu’un tel scénario mettrait l’Etat fédéral dans l’incapacité de débourser un seul centime. Qu’il s’agisse de payer des salaires, verser des prestations sociales ou rembourser des créanciers. Ce serait «catastrophique» et «dévastateur pour l’Amérique et, pour le dire franchement, le monde entier», avait dit Joe Biden dans une vidéo diffusée avant la réunion du G7.

Le «plafond de la dette», supérieur à 31 000 milliards de dollars - un record dans le monde - a été atteint il y a plusieurs mois, mais le gouvernement fédéral a jusqu’ici géré la situation par des arbitrages comptables. Mais quelles seraient les conséquences d’un défaut de paiement de la première économie du monde - une situation inédite ?

Pour les Américains

Outre-Atlantique d’abord, «tout Américain qui dépend de manière directe ou indirecte, d’un paiement du gouvernement, ne sera plus payé», résume Gregory Daco, chef économiste pour EY Parthenon. Cela concerne les salaires et retraites des fonctionnaires et militaires, les prestations sociales liées à l’enfance, aux soins de santé, aux bas revenus ou encore aux personnes âgées. De même, le Trésor risque «de manquer de liquidités pour payer des centaines de milliards de dollars» de factures, souligne Nancy Vanden Houten, économiste pour Oxford Economics.

Et «les entreprises qui travaillent pour le gouvernement ne seront plus payées non plus», ajoute Gregory Daco. Par ailleurs, «si les marchés boursiers chutent, […] l’épargne des gens et l’épargne-retraite seraient pénalisées», livre Nathan Sheets, chef économiste pour la banque Citigroup. Les Etats-Unis ne seraient plus capables de rembourser les porteurs de bons du Trésor, ce placement roi de la finance mondiale. Le gouvernement ne pourrait plus non plus payer certains salaires de fonctionnaires, ni retraites d’anciens combattants, entre autres.

Pour les marchés financiers mondiaux

«D’un point de vue des marchés financiers, on aurait un stress énorme», avertit Gregory Daco. En 2011, lorsque le pays était passé à deux doigts du défaut de paiement, la Bourse de New York s’était effondrée, avec une chute du S&P 500 (où sont cotées les 500 plus grosses entreprises américaines) «de l’ordre de 13-14 % », rappelle-t-il. Et ce qui ferait tout basculer c’est le fait que les Etats-Unis soient incapables de rembourser les porteurs de bons du Trésor, placement roi de la finance mondiale. « Les investisseurs internationaux décider ont-ils de se replier et ne plus investir ? », interroge Gregory Daco.

D’ores et déjà, «les investisseurs sont devenus plus réticents à détenir de la dette souveraine qui arrive à échéance en juin», alertait récemment la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen. Et, si le prix des obligations américaines s’effondre, «la situation serait catastrophique pour tous les organismes qui détiennent beaucoup d’obligations publiques émises par les États-Unis, comme les banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurance, ou les fonds de placement collectifs», note Eric Dor, directeur des Études économiques à l’école de commerce IESEG. Avec, souligne-t-il, un risque de faillites et «des effets en chaîne avec une nouvelle crise financière globale».

Quant au dollar, il «se déprécierait très fortement», relève-t-il encore. Or, le système financier mondial «dépend de la stabilité du dollar», soulignait le Center for american progress dans une note du 11 mai. Mais, comme en 2011, l’or pourrait être le grand gagnant : «c’est la valeur refuge», parce que dans le cas d’une menace de défaut de paiement, «le dollar va baisser, les rendements obligataires vont baisser et les actions chutent», prévient Jack Ablin, de Cresset Capital.

Pour l’économie réelle américaine

L’impact ne se limiterait pas qu’aux marchés : l’économie réelle serait aussi touchée, à commencer par celle des Etats-Unis. «L’impact économique vient simplement du fait que le gouvernement arrête de dépenser», souligne Gregory Daco. La consommation des ménages est en effet la locomotive de l’économie américaine. Avec un «effet multiplicateur», ajoute-t-il, car une dépense plus faible du gouvernement signifie «que la famille qui ne touche pas son chèque […] ne va pas pouvoir dépenser la même chose en allant faire les courses, ce qui […] va affecter le magasin dans lequel ils font leurs courses, ce qui va ensuite affecter leurs propres décisions de recruter…»

Par ailleurs, le gouvernement n’étant plus en mesure de payer ses fournisseurs, «les sociétés dont l’Etat américain est client seraient menacées […] de faillite», ajoute Eric Dor. Les impacts financier et économique cumulés pourraient coûter à l’économie américaine 5 % de PIB, estime Gregory Daco : «on parle d’un choc plus significatif que la contraction du PIB pendant la crise financière. On parle d’un choc énorme».

Pour l’économie mondiale

Les effets d’une crise économique américaine pourraient évidemment se propager à l’échelle mondiale. D’autant que les taux d’intérêt des «obligations émises par les États-Unis augmenteraient très fortement», avec des réactions en chaîne : «baisse de l’investissement des entreprises et des ménages, ainsi que de la consommation, et donc une forte récession aux États Unis», qui pourrait se propager «en Europe et ailleurs», anticipe Eric Dor.

«Je ne pense pas que la croissance mondiale ou la croissance américaine seront affectées cette année de manière significative», nuance cependant Nathan Sheets. La situation pourrait, paradoxalement, profiter à certaines entreprises américaines exportatrices, car une dépréciation du dollar «augmenterait la demande étrangère pour leurs produits en les rendant effectivement moins chers», selon une note du Council on Foreign Relations du 2 mai.

Alors en attendant le résultat du périlleux bras de fer qui met aux prises les membres du Congrès, l’heure est au questionnement. Qui cédera le premier ? Le président américain, qui sait bien qu’une récession, quelle qu’en soit la genèse politique, compromettrait ses chances de réélection ? Ou Kevin McCarthy, dont le poste dépend d’une poignée d’élus radicaux, qui l’appellent - comme l’ancien président Donald Trump - à ne pas «plier» ?

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