Pas un jour ne passe sans qu'une nation n'appartenant pas à son bloc n'annonce une mesure - à tout le moins une étape - dans ce qu'elle espère être un processus de dédollarisation afin de tenter d'asseoir sa propre hégémonie, comme la Chine ou l'Inde. Cette volonté - très sérieusement exprimée et affichée - de détrôner le dollar étant également une assurance contre de potentielles sanctions américaines que ce pays instaure par la courroie de transmission de sa monnaie.
Ces contestataires du billet vert se font largement aider depuis quelques semaines par les politiciens américains en personne qui s'égarent en batailles autour du relèvement du plafond de la dette de leur pays. Cette tragi-comédie du microcosme washingtonien revient certes épisodiquement polluer les débats depuis près de 30 ans. Pour autant, volontairement attisée et entretenue par les partis politiques du pays, elle prend aujourd'hui une tournure relativement dramatique en sapant la confiance en la Trésorerie américaine.
Les « US Treasury bonds » constituent la clé de voûte du système financier mondial
Considéré comme le placement le plus sûr et le plus liquide au monde, le T-Bond a permis à cette nation à travers les âges, les guerres, les pandémies, les faillites bancaires, de pouvoir se financer en toute facilité et à des taux inférieurs au reste du monde. Ces « US Treasury bonds » constituent rien moins que la clé de voûte du système financier mondial. Son marché à 25.000 milliards de dollars est le fondement incontournable de toute transaction à travers le globe. Ce remue-ménage politicien insensé et parfaitement superflu de la part des responsables américains pourrait certes se solder - en cas d'échec du relèvement du plafond de la dette - à une envolée des taux de financement, à une crise économique accompagnée d'une flambée du chômage.
Des effets dévastateurs
Les véritables effets seront en réalité nettement plus dévastateurs, car personne n'est en mesure de prédire comment réagiront face au choc gigantesque du défaut de paiement américain les États et les investisseurs institutionnels détenant force obligations dont les États-Unis cesseront d'honorer la valeur. Nul n'est capable d'estimer les dégâts d'un événement d'autant plus inconcevable qu'il ne sera pas provoqué par l'incapacité des États-Unis à payer leurs dettes. Un éventuel, mais tout à fait possible dans un avenir très prochain, défaut de paiement sera imputable à une clause technique en place depuis la Première Guerre mondiale contraignant le Département du Trésor - qui finançait ce conflit par des emprunts - à demander au Congrès son autorisation de lever plus de fonds lorsque la limite des endettements lui étant allouée était atteinte.
Le pays - et le monde entier - se retrouvent donc aujourd'hui en 2023 captifs d'un usage remontant à plus d'un siècle qui visait à l'époque à simplifier le processus de financement de la guerre, car le Gouvernement des États-Unis était jusque-là obligé de faire adopter une nouvelle à chaque fois qu'il souhaitait lancer un emprunt. Destiné à l'origine à alléger le calendrier législatif, ce plafond de la dette ne fut pas un instrument notable de la politique économique américaine ni une arme de destruction massive ... jusqu'à ce que le calcul politique ne s'en empare.
Partie de poker
C'est en effet la troisième fois en moins de dix ans que ces querelles et tactiques politiciennes menacent de faire exploser le système. Si le désastreux défaut de paiement a pu être par deux fois évité au cours de l'histoire récente, les débats sont aujourd'hui d'une tout autre nature et s'apparentent à une grotesque partie de poker à laquelle s'adonnent les plus importants responsables politiques du pays dans un climat de haine entre les partis Démocrate et Républicain. Certains de leurs membres se complaisent dans des postures radicales, et sourient en chuchotant que les États-Unis ont toujours évité in extremis le défaut de paiement.
Les «Treasury bonds » - instrument de mesure suprême dans la globalité des opérations de prêts, d'emprunts, de cautionnements et de placements autant privés que publics - ne devraient pourtant pas être l'otage des dysfonctionnements de la politique américaine. Pas plus que la Trésorerie américaine qui, avec des flux entrants et sortants quotidiens de 185 milliards de dollars, est incontestablement la première entreprise mondiale. Les parlementaires américains ont une responsabilité universelle consistant à ne pas déstabiliser le monde pour des motifs bassement partisans. Voilà pourquoi la seule question des journalistes aux politiques américains ne devrait pas être de s'enquérir s'ils se rapprochent d'un accord sur le relèvement du plafond, mais plutôt si leur intention est vraiment de provoquer un marasme international pour si peu.
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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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